La déficience visuelle et les choix scolaires et professionnels

Zone collaborateurs
13 septembre 2017
Élyse Charette-Dussault

Élyse Charette-Dussault, conseillère d’orientation spécialisée auprès de clientèles handicapées ou éloignées du marché du travail nous présente un texte intitulé "La déficience visuelle et les choix scolaires et professionnels".

Le choix d’un programme scolaire ou d’une profession peut être un processus complexe, nous le savons. Tant de facteurs à considérer, tant d’informations à consulter, à démêler, à traiter, à classer, etc. Imaginez maintenant que votre vue, la porte d’entrée habituelle de l’information, vous joue des tours. Comment alors accéder à toute cette information?

Les personnes ayant une déficience visuelle ont les mêmes défis que leurs pairs voyants lorsque vient le temps de choisir vers quelle voie professionnelle ils comptent se diriger, mais ils doivent également faire face à des défis supplémentaires.

Dans le cadre de ce texte, je vous propose de vous renseigner sur les particularités de la clientèle jeunesse ayant une déficience visuelle et sur les facteurs à considérer lorsque vient le temps de les accompagner dans une démarche d’exploration professionnelle. Ce texte ne sera ni complet, ni scientifiquement appuyé, mais fera état de mon expérience professionnelle avec cette clientèle depuis quelques années.

Avant d’aborder les défis de l’intervention et les facteurs à considérer, il convient de bien comprendre ce qu’est la déficience visuelle. Selon la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ); La déficience visuelle se caractérise, pour chaque œil, après correction au moyen de lentilles ophtalmiques, à l'exclusion des systèmes optiques spéciaux et des additions supérieures à 4 dioptries, par l'une des conditions suivantes :

  • une acuité visuelle inférieure à 6/21;
  • une acuité visuelle égale ou inférieure à 6/18 pour les personnes qui ont un problème de vision dégénérative, une déficience physique, que ce soit une déficience motrice, auditive ou du langage, ou une déficience intellectuelle;
  • un champ visuel continu inférieur à 60°, incluant le point central de fixation mesuré à l'horizontale ou à la verticale;
  • une hémianopsie complète.
     

Maintenant, rendons cela un peu plus digeste. Les deux premières conditions concernent l’acuité. L’acuité est ce qui permet de voir clairement de près ou de loin. Elle est exprimée sous forme de fraction par exemple 6/6 (exprimée en mètres) correspond à une acuité normale. C’est ce que vous voyez si vous n’avez aucun problème visuel ou si vous portez vos lunettes ou vos verres de contact. On peut parler de déficience visuelle par l’acuité lorsque la personne, même avec la meilleure paire de lunettes, maintient une acuité de 6/21, c’est-à-dire qu’elle perçoit à 6 mètres ce que vous et moi voyons à 21 mètres (ou 6/18 pour la deuxième condition).

Les deux dernières conditions concernent les champs visuels. Les champs visuels normaux sont d’environ 150° à l’horizontale et de 130° à la verticale lorsque nous restons immobiles (sans bouger les yeux ou la tête). Une restriction des champs entraîne donc un accès visuel moins grand du monde qui nous entoure et nécessite un plus grand balayage de l’espace pour percevoir la même chose que vous et moi. Une personne sera considérée comme ayant un handicap visuel lorsque ses champs sont de moins de 60°. Certains de mes clients ayant une restriction sévère des champs disent percevoir le monde comme s’ils regardaient à travers un rouleau de papier essuie-tout ou encore à travers une paille.

Maintenant, comment ces particularités doivent-elles être prises en considération dans un processus d’exploration scolaire et professionnelle? Comme intervenant, vous pourriez avoir le réflexe d’offrir plus d’encadrement à un élève ayant une déficience visuelle lorsqu’il aurait à faire de l’exploration avec un outil tel que Repères, vous pourriez même allez jusqu’à traiter l’information et à la lui partager verbalement. Dans certains cas, vous auriez raison de le faire, mais pour la majorité, pas tout à fait. Tout comme pour les autres élèves, ceux ayant une déficience visuelle ont besoin de développer leur autonomie et le fait de faire les choses pour eux (à moins d’exception) peut leur porter préjudice. N’oubliez pas qu’en traitant l’information pour eux, vous ne leur permettez pas d’apprendre à trier l’information et à faire des choix qui leur conviennent.

Les élèves ayant une déficience visuelle, incluant les élèves en cécité, ont habituellement accès à des stratégies, des outils, des appareils ou des logiciels pour leur permettre d’accéder à l’information. Certains élèves vont utiliser des logiciels d’agrandissement (ou des loupes, ou des télévisionneuses, ou tout simplement des tablettes électroniques pour les documents papiers) qui vont leur permettre d’avoir un accès visuel à l’information écrite. Pour les élèves ayant une déficience plus sévère, les logiciels de synthèse vocale et les plages tactiles braille peuvent également permettre d’accéder à l’information. Bien entendu, même si ces logiciels et outils sont d’une importance capitale pour ces élèves, ils ne sont pas parfaits. Un fort agrandissement ou une synthèse vocale limite l’accès visuel global de l’information. L’élève voit ou entend une partie de l’information sans avoir une perception de l’ensemble de la page. L’intervenant peut aider l’élève en prenant plus de temps pour l’amener à se familiariser avec le site, lui expliquer où se trouvent les menus. L’idée est de l’aider à se faire une image du fonctionnement du site avant de le laisser faire son exploration.

Malheureusement, malgré tous les efforts des développeurs de logiciels d’adaptation, il y a un autre obstacle de taille, l’accessibilité ou plutôt la non-accessibilité à de nombreux sites ou outils. En effet, certains sites sont construits de façon facilitante pour les personnes ayant une déficience visuelle alors que d’autres ne répondent pas aux critères d’accessibilité universelle.

Un autre réflexe que peut avoir un intervenant qui travaille avec un élève ayant une déficience visuelle est d’encourager l’élève à partir principalement de ses capacités et incapacités plutôt que de ses intérêts, ses traits de personnalité et autres critères. Bien entendu, il ne faut pas occulter la vision dans le choix d’une profession, mais cela ne devrait pas être la pierre angulaire de l’exploration.

Dans Repères, nous avons la possibilité de faire des recherches en incluant un certain nombre de critères dont, entre autres, les capacités physiques. Ces critères peuvent être très utiles dans certains contextes, mais ils peuvent également s’avérer dangereux quand nous ne différencions pas la limitation physique de la situation de handicap. Prenons un exemple concret pour illustrer le danger de prendre une déficience visuelle (ou toute autre atteinte physique ou psychique) pour une incapacité fonctionnelle.

Margaux, une élève de 4e secondaire relativement performante, s’intéresse principalement au domaine de l’administration. Elle aime utiliser les mathématiques pour résoudre des problèmes concrets et aime travailler de façon méthodique, selon des normes établies. Margaux a une déficience visuelle qui touche sa vision centrale. Malgré ses lunettes, sans autres adaptations, elle ne peut pas lire un texte imprimé de 12 points (ni de 14, ni de 16). Dans l’exploration par profil avancé de REPÈRES, Margaux et sa conseillère ont utilisé, en plus de certains critères liés aux intérêts, la section capacités physiques et ont coché la restriction « être capable de voir de près ». En regardant les résultats de sa recherche, Margaux est découragée car les professions qui lui sont présentées sont peu nombreuses et ne correspondent pas à ses intérêts.

Dans ce cas, on ne fait pas la distinction entre la déficience, c’est-à-dire l’altération d’un système organique, et la capacité, c’est-à-dire le fait d’être en mesure ou non d’accomplir une tâche avec ou sans aide technique ou humaine (www.ripph.qc.ca). Margaux ne peut effectivement pas percevoir les détails de près sans ses outils, tout comme cela peut être le cas pour certains d’entre nous lorsque nous égarons nos lunettes. Elle est par contre tout à fait en mesure de le faire avec ses aides technologiques. 

Heureusement, Margaux a refait son exploration en sélectionnant ses intérêts mais en évitant de cocher des restrictions en lien avec ses capacités physiques. Elle a ainsi eu accès à un éventail beaucoup plus large de professions qu’elle a pu explorer par la suite. Elle est maintenant étudiante en techniques de comptabilité et de gestion au cégep avec comme objectif de devenir technicienne comptable. Elle surprend ses enseignants par sa capacité à utiliser ses outils d’adaptation, mais surtout par sa capacité à répondre aux attentes scolaires et professionnelles. Malgré sa déficience visuelle, elle réussit admirablement.

Mais alors, comme intervenant en orientation ou en information scolaire et professionnelle, comment savoir ce qui est réellement possible pour une personne ayant une déficience visuelle? Ma réponse pourrait ne pas vous satisfaire entièrement, car en réalité il n’est pas possible de s’assurer à 100 % qu’une profession est accessible (n’est-ce pas ce que nous répondons habituellement à nos clients?). Une profession sera accessible pour Joseph alors qu’elle ne sera pas accessible pour Léa qui a la même pathologie visuelle, les mêmes acuités, les mêmes champs visuels. Cela ne veut pas dire que vous êtes pour autant sans ressources.

Pour bien comprendre les capacités de l’élève ayant une déficience visuelle, prenez le temps de comprendre comment il surmonte les obstacles causés par sa déficience visuelle. Comment fait-il pour fonctionner autrement pour arriver aux mêmes fins qu’un autre élève? Y a-t-il des situations de handicap qu’il ne parvient pas à surmonter? Pourquoi ces situations sont-elles difficiles d’accès, etc.? Mettez-vous en situation d’apprentissage et ne tenez pas pour acquis que vous savez. Vous pouvez également aller chercher le soutien d’intervenants spécialisés en déficience visuelle, notamment dans les Centres de réadaptation tels que l’Institut Nazareth et Louis-Braille. Ceux-ci pourront évaluer les capacités de l’élève, l’aider à développer certaines capacités, vérifier le réalisme de certaines options (toujours avec un facteur d’incertitude) et vous aiguiller vers les ressources disponibles.

En conclusion, nos élèves, mais également les développements au niveau des technologies pourront toujours nous surprendre. Tout comme nos élèves sans déficience visuelle qui deviennent «réellement» astronautes ou luthiers, certains élèves ayant une déficience visuelle vont réellement occuper des emplois qui semblaient inaccessibles aux plus optimistes d’entre nous. Personnellement, je souhaite qu’on me prouve le plus souvent possible que l’inaccessible est en réalité à portée de main. 

  • Élyse Charette-Dussault est conseillère d’orientation auprès de clientèles handicapées ou éloignées du marché du travail depuis 2007. Suite à des expériences en santé mentale, en déficience intellectuelle, auprès de jeunes éloignés du marché du travail et de personnes ayant des troubles neurologiques ou moteurs, c’est auprès de la clientèle ayant une déficience visuelle qu’elle décide de se spécialiser. C’est donc depuis 2013 qu’elle dispense ses services auprès de la clientèle de l’Institut Nazareth et Louis-Braille. Également assistante de recherche pour la Chaire de recherche Santé mentale et Travail, elle s’intéresse aux obstacles à l’insertion socioprofessionnelle ainsi qu’aux facteurs et interventions permettant de les surmonter.