Entrevue avec un ergonome

REPÈRES ta carrière (Entrevues)
7 décembre 2021
Entrevue avec un ergonome

Vous êtes-vous déjà arrêté à analyser la posture que vous adoptez devant votre ordinateur ou encore le nombre de fois où vous pouvez exécuter un mouvement en une journée? L'ergonome prend en compte ces indicateurs afin d'établir le niveau de confort, de sécurité et d'efficacité de l'humain dans son milieu de travail. Nicolas Paradis est un de ces experts en charge de l'amélioration et de la conception des lieux physiques où oeuvrent les employés. Il nous partage sa réalité au sujet de cette profession de terrain. 

Nicolas Paradis
Ergonome
Ergokinox
Question
Comment avez-vous choisi votre profession et quel a été votre parcours?
Réponse

Avant mes études universitaires, je n’avais aucune idée que j’allais devenir ergonome. Lorsque j’ai commencé mon baccalauréat en kinésiologie à l’Université Laval, j’ai dû rapidement choisir entre les diverses concentrations du programme et je me suis tourné vers celle de la santé et de la sécurité au travail. Vu que je n’avais pas vraiment l’intention de travailler en réadaptation, je me suis spécialisé par la suite avec un diplôme d’études supérieures spécialisées en ergonomie. Il faut savoir qu’il n’y a pas de programme d’ergonomie au baccalauréat, donc mon choix s’est fait au fur et à mesure que j’avançais dans mes études. J’ai opté pour cette formation, car l’ergonomie me permettait de toucher à deux sujets que j’aimais bien, soit le corps humain et l’ingénierie. Je possède l’entreprise Ergokinox depuis déjà quelques années. Nous intervenons sur ce qui touche à la prévention dans diverses entreprises et nous accomplissons également beaucoup de mandats pour la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) dans des contextes de retour au travail d’employés qui ont subi des blessures.

Question
À quoi ressemble le travail d’un ergonome?
Réponse

Il y a différents champs d’action en ergonomie. Pour notre part, nous faisons principalement de l’ergonomie de correction. C’est-à-dire qu’une entreprise va prendre contact avec nous pour régler une problématique en particulier, que ce soit dans un bureau ou encore sur une ligne d’assemblage dans une industrie. Lorsque c’est le cas, nous nous déplaçons sur le lieu de travail, afin d’évaluer la situation et pour trouver les facteurs de risques qui nous permettront de déterminer les causes du problème et de proposer des solutions. Pour ce faire, nous travaillons en collaboration avec les employés en place. Lorsqu’une réceptionniste a mal à l’épaule et au cou, nous allons vérifier, par exemple, s’il serait préférable de modifier son poste de travail afin qu’elle puisse faire ses tâches en étant debout, si nous pouvons abaisser la hauteur des comptoirs dans le but de remettre les documents à ses collègues sans trop lever son bras, si ses écrans d’ordinateur sont bien positionnés, etc. Parfois, certains employeurs vont nous contacter pour un tout autre motif comme lorsqu’il y a une nouvelle usine à démarrer ou un nouveau département qui doit être créé dans leur entreprise. Cela touche alors davantage à l’ergonomie de conception, où l’objectif est de participer à l’élaboration de l’environnement de travail. À cet effet, nous travaillons en collaboration avec les architectes et notre implication se retrouvera directement sur les plans qui seront produits.  
 
Nous exécutons également des mandats relatifs à la réadaptation, car nous sommes appelés à donner notre opinion lorsqu’une personne retourne au travail après s’être blessée. Il est possible qu’elle soit porteuse de limitations fonctionnelles et, dans ce cas, notre rôle sera de s’assurer que ces conditions sont respectées. Ces dossiers sont un peu plus formels, car ils sont réglementés par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles et peuvent comporter divers rapports médicaux à prendre en compte. Par exemple, si quelqu’un ne peut pas soulever de charges plus lourdes que 10 kg, il faudra évaluer s’il est en mesure de retourner à ses tâches régulières tout en respectant cette condition ou analyser ce qui pourrait être modifié dans son environnement de travail pour qu’il le soit. Bien qu’il y ait une portion de travail qui se déroule à mon bureau, je passe plus de la moitié de mon temps chez le client. J’y vais, notamment, pour filmer les gens en action, ce qui va me permettre de mesurer les angles de mouvements et de calculer le nombre effectué par minute. Ces éléments d’information m’aident à déterminer si les mouvements sont répétitifs et si cela correspond à la condition physique qui doit être respectée. 

Question
Qu'est-ce que vous aimez le plus et le moins dans votre travail?
Réponse

Il est possible d’être embauché par un employeur et d’être ainsi l’ergonome d’une entreprise quelconque qui exécutera tous les mandats relatifs au bien-être de ses collègues dans son environnement de travail. Pour ma part, en tant que consultant, mon travail est différent. Il me permet d'effectuer des mandats dans diverses entreprises puisque je ne suis lié à aucune en particulier. Lorsque je me rends chez un client, j’ai un regard neuf sur une situation et je peux lui donner mon avis librement, sans avoir l’impression d’être contraint par la politique interne d’une compagnie. J’aime bien l’indépendance dont je dispose et aussi le fait que mon travail m’amène constamment dans des endroits différents. Dans une même semaine, je peux aller dans une aluminerie, un chantier de construction, une usine de fabrication de cercueils ou encore une entreprise pharmaceutique. Le fait de voir différents milieux de travail m’apporte une certaine expertise qui me permet de bonifier mes interventions en appliquant parfois une façon de faire que j’ai vue dans un tout autre domaine. 
 
Cependant, puisque je ne suis pas l’ergonome de l’entreprise qui m’a mandaté, je ne suis pas toujours impliqué dans les étapes subséquentes de travaux ni d’aménagements qui sont effectuées en lien avec mes recommandations. Il arrive donc parfois que le résultat final soit un peu différent de ce que j’aurais visé ou souhaité. Nous sommes impliqués dans l’analyse et la recherche de solutions, mais une fois que le rapport dans lequel nous présentons nos recommandations est remis au client, le processus d’implantation peut se faire sans que nous ayons été avisés de quoi que soit. Si nous voulons que notre opinion soit bien prise en compte, nous devons souvent faire des suivis par nous-mêmes avec les clients afin d’être informés du déroulement des étapes finales. 

Question
Quels sont les aspects méconnus de votre profession?
Réponse

La conception de nouveaux environnements de travail à laquelle un ergonome est appelé à participer est souvent un aspect peu connu de la majorité des gens, vu qu’ils entendent davantage parler de la correction des situations problématiques existantes que nous faisons la plupart du temps. C’est souvent plus efficace d’être joint dès le départ, car nous pouvons intervenir avant que les problèmes surgissent, mais les gens font majoritairement affaire avec un ergonome une fois que le problème est constaté. Cependant, je remarque que cette réalité tend à s’estomper. En plus de nos tâches habituelles, nous faisons également de la formation. Nous pouvons, par exemple, rencontrer les employés afin de les informer sur les positions adéquates à adopter ou encore nous rendre dans une usine qui veut établir un comité spécialisé en ergonomie. De plus, nous sommes amenés à beaucoup voyager. Lorsque nous avons effectué un mandat pour une grande entreprise, il arrive souvent qu’elle veuille mettre en application le même procédé dans ses autres succursales ou usines. Je me promène donc partout au Canada.

Question
Qu'est-ce que vous diriez à quelqu'un qui désire faire ce choix de carrière?
Réponse

Après avoir enseigné longtemps à l’université, j’ai constaté qu’il est inévitable d’avoir une vision plus théorique des choses. Pour ma part, je privilégie vraiment une approche axée sur le terrain.  Mon conseil serait donc de profiter de toute l’expérience qu’il est possible d’aller chercher en tant qu’étudiant à travers les expériences d’emploi reliées au domaine, ou encore les stages, pour vraiment bien essayer de comprendre ce qui se passe sur le marché du travail. Il ne faut pas craindre d’aller au fond des choses, car il arrive fréquemment qu’un client nous approche pour une problématique précise mais, souvent, que le problème se révèle plus profond et c’est alors notre rôle de trouver sa véritable source. Il est également nécessaire d’être curieux, d’avoir une bonne capacité d’analyse et d’être en mesure de cerner rapidement les enjeux d’une situation. De plus, il faut nécessairement être à l’aise de parler aux gens, car nous sommes toujours en train de discuter avec des employés que nous voyons souvent pour la première fois, des dirigeants d’entreprise qui font affaire avec nous et divers professionnels impliqués dans les dossiers ou encore nos propres collègues de travail. C’est un travail très collaboratif. Dernièrement, par exemple, j’ai dû me rendre dans une poissonnerie. Vu que je n’avais aucune connaissance de ce domaine, la collaboration des gens en place m’était essentielle pour bien comprendre leur réalité. Plus nous intégrons les gens dans nos démarches et leur posons des questions, plus notre intervention est efficace. Par le fait même, c’est un travail d’investigation car, si le problème ou la situation était simple à corriger pour le client, il n'aurait pas l’idée de faire affaire avec nous. Finalement, je dirais que, si quelqu’un a un intérêt envers la santé et la sécurité au travail, c’est un bon indice qu’il pourrait se plaire dans le merveilleux monde de l’ergonomie.

Entrevue réalisée par Pascale-Andrée Boivin