La marine marchande a beaucoup évoluée au cours des dernières années et offre des possibilités de travail variées. Dans ce domaine qui sort de l’ordinaire, chacun occupe un rôle bien défini. Nous connaissons tous l'importance du capitaine, mais saviez-vous qu'un navire n'est pas autorisé à quitter le port si le chef mécanicien n'est pas à bord? Serge-Martin Denis, chef mécanicien de navire, a acquis une vaste expérience maritime et nous offre un accès privilégié à cet univers. Découvrez son parcours où il a gravi les échelons jusqu'à devenir gestionnaire de la salle des machines.
L’univers maritime dans lequel j’ai grandi m’a rapidement fait développer un intérêt pour la mer et les bateaux. J’habitais sur la côte de Gaspé, alors je voyais constamment de gros navires arriver et repartir. Mon père et moi allions souvent les observer. Il travaillait d’ailleurs dans un chantier maritime, à Gaspé, et mon grand-père, quant à lui, était pêcheur. Quand j’étais enfant, j’allais en mer avec lui pour pêcher la morue et le flétan. On peut dire que les bateaux ont toujours fait partie de ma vie !
Je m’étais inscrit au départ en génie mécanique au Cégep de Rimouski mais, par une belle journée, lorsque je marchais pour me rendre à mes cours, j’ai entendu un gros bruit de moteur non loin du cégep et ça a piqué ma curiosité. Cela provenait de l’Institut maritime du Québec. Je m’y suis rendu et j’ai discuté avec le professeur qui était sur place. J’ai trouvé ça vraiment intéressant, alors j’ai changé de programme afin de compléter plutôt un DEC en génie mécanique de marine. Au fil de mon expérience professionnelle, j’ai accumulé de nombreuses heures de navigation et je travaille présentement en tant que chef mécanicien pour Groupe Océan sur un remorqueur qui se nomme l’Océan Arctique.
Différents types d’officiers sont requis pour qu’on puisse autoriser un bateau à partir en mer, car chacun doit occuper un rôle bien précis. Les officiers de la salle des machines, dont je fais partie, sont responsables du bon fonctionnement de tous les éléments qui font avancer le bateau. Cela peut toucher les équipements de navigation, les équipements de propulsion mais aussi l’électricité. Certains éléments interagissent avec la propulsion, comme par exemple, le moteur, qui est alimenté par des composantes de contrôle électrique. En tant que chef mécanicien, je chapeaute le 4e, le 3e et le 2e officier mécanicien afin que chacun accomplisse sa tâche selon son type de brevet et que les appareils sur le navire soient prêts à servir en tout temps en cas de besoin. Plus un officier va monter en grade, plus il va toucher à des équipements variés. Un officier de la 4e classe veille, par exemple, au bon fonctionnement des compresseurs, de la pompe à incendie ou encore du système de chauffage. Le 3e s’occupe, quant à lui, des génératrices, alors que le 2e s’affairera à la propulsion du navire. En atteignant le titre de chef mécanicien, qui est le brevet de 1re classe, cela signifie que la personne a occupé tous les grades précédents et a donc touché à tout ce qu’il y a comme équipement sur le navire. Elle est alors en mesure de comprendre tous les systèmes pour les réparer.
Dans le domaine de la navigation, la sécurité est primordiale. Nous avons une grande responsabilité, car nous ne pouvons pas nous retrouver sur un navire à des milliers de kilomètres au large si l’intégrité du bateau est mise en danger par un bris ou une défectuosité quelconque. C’est pourquoi il y a un inventaire de pièces à bord, qui doit être rigoureusement tenu à jour. Transport Canada en exige d’ailleurs un nombre minimal dans le but de minimiser les risques. Si, par exemple, un officier mécanicien prend une valve pneumatique de rechange, il va m’aviser et je vais alors devoir m’assurer de faire une commande au bureau pour que la pièce soit reçue le plus rapidement possible et remise dans notre inventaire. Outre la réparation d’équipement, le travail de l’équipe consiste également à en faire l’entretien et à exécuter certaines opérations telles que démarrer les moteurs et les génératrices en prévision d’un prochain départ du navire. C’est un travail qui est assez physique, mais j’ai également beaucoup de gestion à faire à mon bureau parce que tout est réglementé. Pour chaque réparation effectuée par mon équipe, je dois produire un rapport qui détaille, entre autres choses, ce qui a été fait comme travail et le nombre d’heures qui ont été requises pour accomplir la tâche. Le travail de tous les officiers mécaniciens est comptabilisé dans un système, et c’est mon rôle de veiller à le garder à jour. Il faut également que je gère leur horaire de travail, car ils ne doivent pas dépasser le temps de travail maximal permis par la loi. Normalement, une personne travaille par quart, et ce, de jour comme de nuit. Je dois veiller à faire respecter les temps de repos pour que les employés soient toujours prêts et disposés à intervenir en cas de problème. Pour ma part, je travaille davantage de jour afin de chapeauter toute l’équipe. Je suis également responsable de la production des paies et des diverses communications.
Ce que j’aime, c’est que je ne fais jamais la même chose, dans les mêmes conditions. En travaillant sur le remorqueur Océan Arctique, les bateaux que nous prenons en charge dans le port de Sept-Îles sont toujours différents et même, parfois, il y a de gros navires de 180 à 200 000 tonnes. De plus, les conditions climatiques avec lesquelles nous devons composer pour exécuter notre travail ajoutent une belle dose de défi. C’est bien quand l’environnement est calme, mais c’est tout aussi stimulant quand il y a de l’action. Dans ces conditions, il faut faire preuve d’un peu plus de rigueur au travail, car nous devons performer et trouver des solutions. Nous ne pouvons pas remettre une réparation au lendemain, il faut que ça fonctionne. Lorsque nous recevons un appel, nous devons y répondre sur le champ et c’est une grande satisfaction de se rendre compte que le travail a pu être exécuté malgré certains bris plus complexes ou des conditions plus difficiles.
Comme j’habite à Rimouski, mon horaire de travail m’exige d’être 14 jours à Sept-Îles pour être, par la suite, 14 jours en congé chez moi. Le moment où je dois partir de la maison est ce que je préfère le moins. Laisser mes proches derrière moi sera toujours quelque chose de difficile, même si j’ai un très bon salaire et que les conditions de travail sont excellentes. Cependant, lorsque je reviens à la maison, j’oublie tout ça et je rattrape le temps perdu avec ma famille. En tant que navigants, nous avons presque la moitié de l’année en congé à la maison. Ça me permet de profiter de la vie et, pour moi, c’est une parfaite combinaison.
Le principal élément à démystifier concerne le fait que la majorité des gens croient que ce travail implique d’emblée de longs voyages continuels en mer. Ça peut effectivement être le cas lorsque cela plaît à quelqu’un de le faire, mais il faut savoir que tout est possible dans ce travail. Une fois que quelqu’un a acquis ses brevets, il peut choisir ce qui lui convient le mieux. Il peut même rentrer tous les soirs à la maison s’il le souhaite! C’est d’ailleurs la réalité que vivent mes collègues actuels. Vu qu’ils habitent directement à Sept-Îles, ils peuvent se rendre sur le bateau chaque matin et retourner chez eux lorsque leur quart de travail est terminé. Comme le bateau est au quai quotidiennement, je suis également libre d’aller où je veux dans les environs et je peux faire des activités pendant que je suis là-bas, comme par exemple, m’entraîner. Je ne suis pas toujours confiné sur un bateau à voir seulement la mer et mes collègues de travail.
Après avoir terminé mes études, j’ai dû accomplir le temps de mer qui était nécessaire pour l’acquisition de mon brevet. Ça a été le moment de ma carrière où j’ai été parti le plus longtemps, mais ça a été incroyable de pouvoir voyager comme ça. À 19 ans, je suis allé en Amérique du Sud pour recueillir un chargement de bananes, alors que l’année suivante, je suis parti en Afrique pour aller chercher du pétrole que l’on devait transporter jusqu’en Louisiane. Ce périple a duré 77 jours sans mettre pied à terre. J’ai eu des horaires variés sur différents navires qui m’ont pratiquement fait faire le tour du globe et, lorsque j’ai eu des enfants, j’ai choisi un poste de direction à la Traverse Rivière-du-Loup/Saint-Siméon. Cela m’a permis de concilier plus facilement le travail et la famille. Tout ce que j’ai accompli, j’ai eu le choix de le faire ou d’opter pour autre chose qui me permettait tout autant de faire ce que j’aime comme travail.
Avant toute chose, il est primordial d’être manuel et débrouillard. De plus, les gens qui sont aventuriers et qui aiment les défis seront à leur place dans ce domaine. Cependant, si quelqu’un a le mal de mer ou qu’il s’ennuie facilement, je lui dirais qu’il vaut mieux opter pour une autre profession. C’est tout de même exigeant d’être confiné dans le même environnement pendant plusieurs semaines et, tôt ou tard, une personne devra passer par là si elle veut monter en grade. Le processus de certification s’échelonne sur quelques années à travers lesquelles la personne devra faire divers voyages en mer. À mesure qu’elle naviguera, elle pourra passer des examens et gravir les échelons de la hiérarchie en obtenant des brevets de Transport Canada. Cependant, il n’est pas nécessaire d’atteindre le brevet maximal de chef mécanicien. Il est tout à fait possible de demeurer officier mécanicien de navire sans passer par le processus complet si la gestion l’intéresse plus ou moins.
Peu importe le grade des officiers, nous devons tous avoir une bonne forme physique. Elle est d’ailleurs évaluée par un examen médical tous les deux ans. De plus, il n’y a pas d’alcool sur les navires et les drogues ne sont pas permises. Lorsque nous sommes en congé, il peut être agréable de prendre un verre de vin lors d’un souper mais, lorsqu’on est sur le bateau, il faut savoir s’en passer. Ainsi, si quelqu’un est intéressé par le domaine maritime et qu’il souhaite avoir une expérience concrète avant de se lancer dans ce projet de carrière, il peut être employé comme assistant mécanicien dans les salles des machines. Pour ce faire, il devra avoir fait la formation aux fonctions d’urgence en mer (FUM) et posséder un brevet médical valide. C’est vraiment tout un monde de possibilités à découvrir.