La manière dont est produite la richesse et sa répartition dans notre société sont certainement les premiers éléments analysés par un économiste. De plus, celui-ci observera diverses questions d’actualité, comme par exemple, l'impact de la hausse du prix de l'essence sur l’économie québécoise. Pour ce faire, il utilise divers outils tels que des données statistiques, des rapports, des enquêtes, etc. Jean-François Fortin nous entretient au sujet de cette profession qu'il exerce déjà depuis plusieurs années.
Mon parcours au Cégep a été varié, car j’ai changé de programme de formation à quelques reprises. J’ai étudié quelque temps en sciences de la nature, puis dans une technique pour ensuite terminer mes études dans le programme de sciences humaines avec mathématiques. Dans cette formation, j’ai vraiment accroché sur un cours d’économie en particulier, mais comme j’ai toujours eu en tête de m’inscrire en droit à l’université, je suis resté fidèle à cette première idée. Cependant, comme nous devions mentionner un deuxième choix de programme en remplissant la demande d’admission, j’ai choisi l’économie. Je me suis donc retrouvé en économie en raison du fait que je n’ai pas été accepté en droit, mais finalement, je suis bien heureux de ce concours de circonstances.
L’économie est basée sur le modèle de l’offre et la demande pour la détermination des prix dans un marché et j’aimais bien ce raisonnement. Pourquoi le prix de certains articles augmente-t-il? Parce que l’offre a diminué ou que la demande a augmenté. De plus, j’ai toujours été quelqu’un de cartésien et c’est le caractère rationnel de l’économie qui m’a de prime abord attiré. J’ai complété mon baccalauréat en économie à l’Université Laval en 2005 et j’ai commencé à travailler en 2007 puisque j’ai poursuivi, entre temps, mes études à la maîtrise. J’ai cumulé 15 ans d’expérience à l’Institut de la statistique du Québec où j’ai gravi les échelons et, depuis six mois, je travaille à Statistique Canada, le pendant fédéral l’Institut de la statistique du Québec. C’était une continuité logique pour moi.
Il y a beaucoup de tâches possibles en économie et elles varient selon le milieu de travail dans lequel la personne va évoluer. Nous pouvons classer les économistes en deux catégories : les macroéconomistes, qui étudient les systèmes dans leurs ensembles, et les microéconomistes, qui font davantage des analyses au niveau de l’individu et de l’entreprise. Dans son ensemble, l’économie étudie la réaction des êtres humains face à la rareté des ressources vu que rien n’est infini et que ce fait nécessite de faire des choix. Pour ma part, je fais de la macro-économie depuis le début de ma carrière. Une de mes premières tâches à l’Institut de la statistique du Québec consistait à produire des statistiques d’investissement par région administrative du Québec. Par la suite, j’ai travaillé au niveau des comptes économiques annuels pour mesurer le produit intérieur brut (PIB). J’étais responsable d’évaluer les dépenses des consommateurs, des gouvernements, des entreprises, l’investissement, la consommation, les revenus de travail, l’excédent de l’exploitation net des entreprises, etc. J’ai fait ce travail pendant quelques années et, ensuite, j’ai été appelé à faire le même exercice, mais au niveau trimestriel. C’était un défi, car dans ce cas, nous avons moins de sources sur lesquelles s’appuyer et l’exercice doit se produire dans un laps de temps rapproché. Par exemple, pour un trimestre se terminant le 31 décembre, l’économiste sera en mesure de dire dès la fin mars quelle aura été la croissance de l’économie du Québec pour le dernier trimestre de l’année.
Dans mon emploi actuel, je suis analyste sénior et je travaille avec les statistiques de finances publiques. Mon rôle est de prendre les états financiers qui sont faits selon des normes comptables, de les trier selon les classifications statistiques, de les compiler et de dresser un portrait des revenus et des dépenses des unités institutionnelles avec des classifications internationales pour que nous puissions les comparer entre elles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Pour cela, je consulte les grands livres comptables gouvernementaux, tant au niveau fédéral, provincial, municipal, que ceux des commissions scolaires, des hôpitaux, etc. Je dois également dépolitiser les données financières des gouvernements pour les rendre uniformes et comparables entre les provinces et avec les autres pays. Dans mon travail, j’utilise beaucoup de modèles existants ou je les construis moi-même. J’entre les données et les divers paramètres pour générer des résultats à l’aide de logiciels standardisés comme « Statistical Analysis System (SAS) » ou encore « Statistical Package for the Social Sciences (SPSS) ». Pour expliquer une situation en particulier, je dois réfléchir pour déterminer les bons éléments à considérer. Par exemple, si je veux mesurer la consommation de bananes par la population du Québec, je devrai observer le prix des bananes, mais aussi celui des ananas, car quelqu’un pourrait dire qu’il va acheter des ananas au lieu des bananes, le prix du pétrole, car si les bananes coûtent plus cher à importer, le prix va augmenter, etc.
J’aime vraiment la liberté de penser que je retrouve dans mon travail. Je n’ai jamais eu un patron pour me dire ce que je devrais faire; c’est vraiment valorisant de pouvoir justifier ce que l’on croit important d’accomplir et décider par soi-même. Mon seul objectif a toujours été de produire les meilleures statistiques possibles avec les données que l’on me transmet. Ce que j’ai le moins apprécié dans ma carrière à ce jour, c’est l’aspect répétitif qu’il y avait dans mon précédent travail. Vu que je produisais des données trimestrielles et annuelles, le même genre de tâche revenait ponctuellement. Cette routine fait partie des raisons pour lesquelles j’ai changé d’emploi. Je ne me voyais pas faire la même chose encore pendant les prochaines années. Un économiste qui n’aime pas les tâches répétitives sera peut-être amené à changer d’emploi plus fréquemment, mais pas nécessairement d’employeur. C’est un autre avantage de notre domaine. À titre d’exemple, le ministère des Finances emploie près de 400 économistes parmi lesquels certains étudient la consommation, alors que d’autres analysent l’investissement, les marchés financiers, le commerce extérieur ou encore les prix. Il est alors possible de toucher à différentes sphères au fil de sa carrière.
Lorsque je dis que je suis économiste, la plupart des gens pensent que je suis un comptable. Celui-ci sera beaucoup plus rigide, son cadre de travail est très bien établi. L’économiste a davantage le champ libre pour créer lui-même son cadre d’analyse et élaborer des outils analytiques. L’économie ne se résume pas à calculer les dépenses que je vais faire. C’est plutôt l’étude des réactions des humains et de leurs comportements face à la rareté des ressources. C’est souvent la première chose qu’il faut expliquer aux gens, car ils ont tendance à oublier que l’économie est une science sociale et à croire qu’elle est plus près des sciences pures. Ce qui peut être également méconnu, c’est notre polyvalence en regard du raisonnement théorique appris à l’université. J’ai des amis qui travaillent dans le domaine des ressources naturelles alors que d’autres vont travailler en politique municipale. À titre d’exemple, Jacques Parizeau, ancien Premier ministre du Québec, a fait un doctorat en économie à la prestigieuse London School of Economics. Il est possible d’être économiste et occuper une panoplie d’autres emplois qui ne sont pas reliés directement à l’économie.
En général, les mathématiques ou les statistiques, c’est de l’abstrait. À mon avis, l’économie est le domaine où les mathématiques sont les plus concrètes, car nous les utilisons toujours dans un dessein bien précis, soit pour démontrer quelque chose ou calculer des éléments spécifiques. Nous traitons des décisions de tous les jours reliées à la consommation, à l’investissement, aux exportations, etc. Il y a des liens économiques par rapport à tout ce que l’on voit et tout est modélisable mathématiquement. Donc pour quelqu’un qui aime les mathématiques, mais n’aime pas trop l’abstrait, l’économie va vraiment donner un sens à ce qu’il va faire. Je dirais également qu’il faut douter de tout, en tout temps. Être curieux, avoir un esprit analytique et se poser des questions sont des réflexes essentiels. Il faut aussi être ouvert et très humble, car il n’existe jamais de façon d’avoir raison à cent pour cent. Même si nous utilisons un modèle et que notre idée a du sens, l’inverse peut également être démontrable. Dans notre domaine, il y a beaucoup de place accordée à la réflexion et à l’interprétation. Si, par exemple, tu donnes un chèque de 100 millions à toute la population, un économiste peut dire que c’est positif, car ça va donner aux gens le pouvoir de consommer, alors qu’un autre pensera que c’est plutôt négatif, car cela va faire monter l’inflation. Les deux sont vrais, alors dans ce cas, quelle opinion prime? Cela demeurera un débat et dépendra du point de vue de chacun. En économie, il n’y a pas seulement deux côtés à une médaille. Il y a toujours plusieurs choses à prendre en compte.