Entrevue avec une enseignante en francisation

REPÈRES ta carrière (Entrevues)
25 octobre 2022
Entrevue avec une enseignante en francisation

Bien que la profession d'enseignant concerne essentiellement la transmission d'un savoir et l'apprentissage des élèves, le quotidien de chacun peut être bien différent selon la spécialisation, la matière enseignée ou encore le statut d'employé. Outre les enseignants au primaire et au secondaire que nous connaissons tous, il en existe d'autres qui sont parfois méconnus dont celui d'enseignant en francisation. Élizabeth Genest nous parle de cette profession qu'elle exerce avec beaucoup d'enthousiasme. 

Élizabeth Genest
Enseignante en francisation
Centre de services scolaire de Charlevoix
Question
Comment avez-vous choisi votre profession et quel a été votre parcours?
Réponse

À la fin de mes études secondaires, j’ai participé à un échange étudiant en Colombie-Britannique d’une durée de trois mois. Lorsque j’étais là-bas, j’ai aidé quelques personnes dans leurs cours de français et c’est à ce moment-là que j’ai eu la piqûre d’enseigner ma langue maternelle et ma culture aux autres. J’ai donc fait mes études collégiales au cégep de Sainte-Foy en arts et lettres, option langues, et j’ai poursuivi mon cheminement scolaire en m’inscrivant au baccalauréat en enseignement du français langue seconde, à l’Université Laval. J’ai terminé ma formation en 2012. J’enseigne depuis, et cela fait sept ans, que je suis dans le domaine de la francisation. J’ai habité pendant quelques années à Montréal avant d’être blasée par la circulation difficile, la pollution et le stress ambiant. À l’occasion d’une petite escapade entre amis, qui m’a amenée dans la région de Charlevoix, j’ai réalisé que je n’étais pas obligée de demeurer à Montréal et que les enseignants sont demandés partout. Comme je voulais également me rapprocher de ma famille qui demeure à Québec, j’ai enclenché les démarches et transmis mon curriculum vitae à tous les Centres de services scolaires (CSS) de la région de la Capitale-Nationale. Par un heureux hasard, c’est celui de Charlevoix qui m’a appelée en premier, car la Ville de Baie-Saint-Paul, qui parrainait alors deux familles de Syriens, avait besoin d’une enseignante à temps plein. Cela fait désormais quatre ans que je travaille dans la région de Charlevoix.

Question
À quoi ressemble le travail d'une enseignante en francisation?
Réponse

Avec le diplôme de baccalauréat en enseignement du français langue seconde, nous détenons un brevet d’enseignement avec lequel nous pouvons travailler autant au primaire, au secondaire qu’à l’éducation des adultes. Pour ma part, j’enseigne à la formation générale des adultes. Cette session-ci, je donne des cours de soir à des classes multiniveaux. C’est-à-dire que dans une même classe, j’ai des étudiants qui sont débutants, intermédiaires et avancés dans l’apprentissage de la langue française. J’ai actuellement deux groupes que je vois à raison de deux soirs par semaine chacun pendant 12 semaines. Certains cours de jours vont s’ajouter bientôt; donc mon horaire est appelé à changer au rythme des contrats. Comme pour tous les types d’enseignants, je dois respecter le programme de formation de l’école québécoise du ministère de l’Éducation. Je planifie donc moi-même mes cours en regard de ce programme qui comprend différents niveaux d’apprentissage et une échelle de compétences à acquérir basée sur la production orale, la production écrite, la compréhension orale et la compréhension écrite. Chaque niveau comporte un nombre d’heures précises de formation et, une fois qu’un élève a atteint ce qui est demandé pour son niveau, je peux lui faire passer l’examen du Ministère. 

Mes élèves sont majoritairement des personnes en situation de travail qui ont besoin d’être fonctionnelles au quotidien dans l’aspect oral du français. Même si je dois travailler en regard des quatre compétences, je mets l’accent sur la production orale et la compréhension orale. Cela se traduit en classe par des discussions et des jeux. Il y a également une partie un peu plus théorique, comme lorsque j’explique une règle de grammaire. En plus d’avoir différents niveaux de langue, mes élèves proviennent de différents endroits. Je dois donc m’adapter selon le degré d’apprentissage de chacun. Lorsqu’on a une classe multiniveau, l’élément qui demande le plus de temps est la planification, car pour le même cours, je dois souvent organiser, par exemple, des activités différentes en regard de chacun des niveaux. Le mélange des cultures se fait assez bien en cours et ça ajoute beaucoup de plaisir. Un sujet qui est rassembleur en classe, c’est la cuisine. Je leur demande parfois d’apporter un plat typique de leur pays et c’est vraiment une belle activité interculturelle à faire, car ils sont tous heureux de partager les saveurs et d’expliquer les recettes ou les traditions qui les distinguent. 
 

Question
Qu'est-ce que vous aimez le plus et le moins dans votre travail?
Réponse

Mes élèves sont très intéressants et ont un parcours de vie souvent incroyable. J’aime beaucoup les rencontrer et les connaître. Ils sont extrêmement motivés, car ils ont besoin d’apprendre la langue française pour être fonctionnels dans leur vie au quotidien. C’est vraiment stimulant de leur enseigner, car cela les aide à exécuter une panoplie de choses telles qu’aller à l’épicerie, répondre à un courrier ou encore soutenir leurs enfants dans les devoirs. De plus, ils auront éventuellement à démontrer qu’ils ont assez d’acquis dans la langue pour obtenir leur citoyenneté canadienne et cet aspect légal est très motivant dans mon travail, car je sais que ce que je leur apporte peut avoir des répercussions directes sur leur droit de demeurer au pays. 


En ce moment, dans Charlevoix, il y a de plus en plus d’immigrants et je suis quand même bien placée sur la liste, donc je n’ai pas d’inquiétude outre mesure à savoir si je vais avoir du travail ou non dans le CSS. Cependant, je dois composer avec une bonne dose d’incertitude. Vu que je n’ai pas de permanence, ce sont des contrats qui se renouvellent chaque session ou chaque année. Ça change constamment, et j’essaie de voir le côté positif même si c’est parfois stressant. Il m’est déjà arrivé de ne pas avoir une année scolaire tout à fait remplie alors j’en ai profité pour voyager. Même si mon horaire est parfois instable, cela m’offre davantage de liberté. 
 

Question
Quels sont les aspects méconnus de votre profession?
Réponse

La question que tout le monde se pose est si je parle toutes les langues de mes élèves. La réponse est non. Alors comment fait-on pour se comprendre et communiquer? C’est un défi surmontable de différentes façons. Avec les débutants, j’utilise le mime, je parle très lentement, je montre des images, etc. En dernier recours, si c’est une information très importante, il est possible d’utiliser la traduction. Lorsqu’un Mexicain, par exemple, parle également anglais, je peux utiliser cette autre langue ou encore s’ils sont deux dans le cours à parler espagnol et qu’il y en a un qui est plus avancé dans l’apprentissage du français, je peux faire appel à lui afin qu’il traduise à l’autre personne. Parler la langue d’origine des élèves n’est pas obligatoire, nous avons beaucoup d'autres manières de communiquer. Au fait, il me serait impossible de parler toutes les langues. À titre d’exemple, je peux avoir une classe composée de Mexicains, de Colombiens, de Chinois, de Chiliens, de Canadiens anglais, d’Haïtiens, de Marocains et de Japonais.

Question
Qu'est-ce que vous diriez à quelqu'un qui désire faire ce choix de carrière?
Réponse

C’est vraiment une belle profession et je lui dirais de ne pas se laisser déstabiliser par l’insécurité, car celle-ci est surtout présente en début de carrière. Si quelqu’un a vraiment de la difficulté avec l’incertitude, la possibilité d’enseigner le français langue seconde au primaire ou au secondaire offre un peu plus de stabilité que la formation aux adultes. Dans une petite région comme Charlevoix, c’est différent, car il n’y a pas assez d’immigrants pour avoir une classe pour chaque niveau, cependant, il est possible dans les grandes villes d’avoir une classe de débutants, une classe d’intermédiaires et un autre groupe d’avancés. Un enseignant au primaire à Montréal peut, par exemple, avoir une classe d’accueil où il enseignera seulement le français et les mathématiques aux nouveaux arrivants. Peu importe où la personne va travailler, il est essentiel d’avoir beaucoup de patience. Lorsqu’un élève essaie d’expliquer quelque chose dans une langue autre que sa langue maternelle, il faut être très ouvert et ne pas le juger. De plus, il est essentiel d’avoir une grande ouverture aux autres cultures et un sens de l’organisation développé pour que tout aille dans la bonne direction. C’est une profession où l’entraide est présente et la débrouillardise est souvent sollicitée. Le fait d’avoir voyagé m’aide beaucoup dans mon travail. L’an dernier, je suis partie pour un an en Italie où j’ai suivi des cours d’italien. Cela m’a donné l’occasion d’être dans le rôle de l’apprenant au lieu de celui de l’enseignant et ça a vraiment été une belle expérience d’humilité.

Entrevue réalisée par Pascale-Andrée Boivin