Entrevue avec une ingénieure forestière

Dans mon enfance, j’avais déjà un certain intérêt pour la nature. Tous les étés, je faisais du camping pendant les vacances avec mes parents qui profitaient du long congé que leur carrière d’enseignants leur permettait. Aussi, les sujets comme l’environnement, la biodiversité, les pluies acides ont commencé à faire partie de l’actualité et à me sensibiliser. Au collégial, j’ai opté pour les sciences de la nature parce que je voulais ensuite aller à l’université. À l’occasion d’une journée portes ouvertes à l’université, je regardais pour le domaine de l’agronomie et je n’étais pas très emballée par les programmes à la faculté d’agriculture. À ce moment, les programmes de cette faculté n’étaient pas très orientés vers l’environnement et abordaient plutôt la production. Pendant cette visite, j’ai aperçu le pavillon de la foresterie et j’ai décidé d’aller en faire la visite. C’est à cet endroit que le coup de cœur s’est produit. Les gens de la faculté expliquaient la variété des spécialisations possibles et c’est ce qui m’a convaincue, car ça me laissait aussi le temps d’explorer et d’arriver à trouver ce qui me conviendrait le mieux. 

Le rôle de l’ingénieur forestier est d’aménager la forêt de façon durable. Pour l’ingénieur forestier « classique », ses collaborateurs et lui doivent donc faire un inventaire de la forêt, en faire la classification et déterminer un diagnostic pour désigner les actions à appliquer, ce qui constitue la prescription pour que cette forêt soit durable. Il y a beaucoup de facteurs à considérer : économiques, environnementaux, sociaux et autres. 

Il n’y a pas que l’ingénieur forestier « classique », car il est possible de se spécialiser dans des sujets tellement divers. Ceux qui ont un grand intérêt pour les mathématiques vont se diriger dans les calculs de possibilités avec des prévisions de l’évolution de la forêt, l’influence de différents facteurs, les opérations forestières avec analyses de productivité et de rentabilité, etc.  Ceux ayant un profil plus technologique vont travailler avec les GPS, les drones, les bases de données, la géomatique et les géographes. Ceux qui sont intéressés par les insectes, peuvent se spécialiser dans les maladies et les infestations en forêt et les aménagements idéaux pour contrôler les pertes. Les gens avec un fort intérêt social profiteront de toutes les rencontres avec les pourvoyeurs, les communautés autochtones, les municipalités, etc. En ce qui a trait à l’aspect environnemental, il y a toutes les actions à faire pour la gestion des habitats, la protection des espèces en déclin, le retour des espèces qui ont quitté ce milieu, etc. 

Personnellement, j'interviens dans le volet environnemental et social, car je travaille à l’évaluation des compagnies forestières afin de s’assurer du respect de rigoureuses exigences environnementales et sociales permettant l’obtention de la certification du Forest Stewardship Council®. Mon quotidien est donc de faire affaire avec les clients qui veulent devenir certifiés FSC, de planifier les audits à faire sur le terrain et les équipes multidisciplinaires requises pour ensuite arriver avec un rapport que je devrai approuver à titre d’ingénieure forestière. Mon rôle est de gérer toutes les activités de certification forestières au Canada et aux États-Unis tant pour des forêts privées que des forêts publiques. 

Les ingénieurs forestiers sont aussi requis pour aider les propriétaires de forêts privées à atteindre les attentes en vue d’obtenir les subventions ou remboursements gouvernementaux qu’ils convoitent. Les ingénieurs forestiers font aussi des évaluations des terres forestières si quelqu’un veut en faire la vente afin d’en déterminer la valeur. L’ingénieur forestier en forêt privée peut aussi aider dans le domaine acéricole pour favoriser la production, dans le domaine de la chasse pour donner des conseils d’aménagement en vue d'augmenter la présence d’une espèce ciblée, et dans bien d’autres domaines encore! 

Ce que j’aime particulièrement dans mon travail, c’est vraiment la variété des tâches au quotidien et le fait que je suis en constant apprentissage. J’aime aussi les débats et les décisions à prendre lorsque nous sommes à faire une évaluation. Ces échanges d’idées et toutes les réflexions que l’on partage sont des moments que j’apprécie particulièrement. Nous sommes responsables et nous devons nous assurer que les décisions prises sont réfléchies et respectueuses du code de déontologie de notre ordre professionnel. 

C’est vraiment le volet international de mon travail qui surprend les gens. J’habite dans un petit village d’environ 340 habitants et je suis appelée à aller faire des audits en Nouvelle-Calédonie et en Indonésie, ou à aller donner des formations en Afrique, par exemple. Cet aspect international est présent en raison de mon rôle d’ « auditeur forestier ». Ce rôle est encadré par une formation et une qualification très particulière, qui font que nous sommes assez rares et que lorsque des audits ont lieu à l’étranger et que nous répondons aux attentes en ce qui a trait à la langue et au domaine, il est possible d’y participer. 

Le génie forestier est tellement varié que ce ne sont pas tous les domaines de ce génie où l’on a besoin d’utiliser les sciences comme les mathématiques et la physique dans les tâches quotidiennes. Malgré l’aspect ingénierie, les gens ayant un profil plus social, biologique ou environnementaliste pourront s’y retrouver sans crainte.  

Je suggère à quelqu’un qui n’a pas encore arrêté son choix de carrière de questionner des professionnels autour de lui et, si possible, de passer une journée avec un ingénieur forestier pour vraiment découvrir les dessous du métier. *

Tous les jours, je peux constater des évolutions dans le domaine! Par exemple, les inventaires forestiers peuvent maintenant être enrichis par l’utilisation de drones, donc des ingénieurs sont appelés à en piloter. Aussi, lors de conférences, on peut apprendre des informations nouvelles sur la gestion forestière, que ce soit en lien avec le réchauffement climatique, la génétique des arbres, etc. Il y a aussi eu une bonne évolution des actions réalisées par les propriétaires forestiers, qui sont maintenant plus sensibilisées à la nature et où les femmes prennent un peu plus de place au fil des années. 

En ce qui concerne le volet social, il y a beaucoup d’évolution depuis les dernières années, mais il y a encore beaucoup de chemin et d’apprentissages à faire, par exemple en ce qui concerne les relations avec les communautés autochtones, ce qui représente un beau défi social, économique et culturel! 

Le travail de l’ingénieur forestier ne demande pas nécessairement d’être présent sur le terrain. Plusieurs ingénieurs forestiers ont des fonctions qui se rapprochent du travail de bureau. Cependant, il est aussi possible de travailler beaucoup sur le terrain, soit en dressant des inventaires ou à titre de propriétaire d’entreprise d’exploitation forestière. Dans ce cas il est nécessaire d’avoir une bonne condition physique. 

De façon générale, sans aborder la variété des domaines, il faut garder à l'esprit que l’ingénieur forestier fait partie d’un ordre professionnel qui exige que ses membres soient intègres et aient un bon sens déontologique. Nous avons des comptes à rendre et beaucoup de règles à respecter, donc il faut accepter de se faire évaluer tout au long de notre carrière et suivre les cours de formation continue qui nous permettent de rester informés.