Il est commun d'imaginer les analystes en intelligence d'affaires dans le domaine de l'informatique, là où ils analysent de nombreuses données pour supporter des décisions d'affaires, mais cette profession existe aussi dans d'autres domaines. Daphné Bisson occupe cette position pour l'Orchestre symphonique de Montréal, une entreprise du milieu culturel. Elle nous décrit son parcours et la place de son rôle dans ce type d'organisation.
C’est une enfilade d’opportunités qui m’a menée où je suis actuellement. Premièrement, j’ai grandi dans un milieu musical, avec un père enseignant en musique. J’ai commencé à jouer de la musique à l’âge de 3 ans et en grandissant je me suis toujours dit que la musique allait faire partie de ma vie sans savoir exactement comment. J’ai donc fait mon parcours scolaire en conservant la musique à l’avant-plan. Au niveau collégial, j’ai combiné les sciences de la nature et la musique pour ensuite continuer au baccalauréat en interprétation de la clarinette. Après le baccalauréat, j'étais un peu mélangée et j’ai décidé d’attendre un peu avant d’aller à la maîtrise en musique, qui semblait être la suite logique. Je voulais évaluer si les études en musique allait me manquer. Je me suis plutôt inscrite à temps partiel en gestion des organismes culturels. J'ai rapidement réalisé que je ne m’ennuyais pas à ce point de la musique et que je pouvais continuer à la pratiquer comme un passe-temps. À ce moment, j'ai continué la formation en gestion des entreprises culturelles en jumelant cela à des emplois dans le milieu. Pour le projet intégrateur de ma maîtrise, j'ai décidé de faire une analyse et optimisation de bases de données. Il n’y avait rien qui me menait à cela à l’exception d’un coup de foudre dans un cours et de mon milieu de travail du moment où je devais jongler avec cinq bases de données indépendantes qui gagneraient à être mises en commun. Ce projet intégrateur prend tout son sens ensuite quand l’entreprise fait face à des contraintes technologiques qui obligent à changer réellement les bases de données. Je plonge donc dans ce processus de choix de base de données, d’évaluation des impacts, de réponse aux besoins des parties prenantes, etc. Ensuite, je cumule des postes où je suis en voie de devenir directrice générale, donc des emplois où j'ai une vision globale sur ce que l’entreprise est en totalité. Un poste d’analyste d’affaires s’affiche à l’Orchestre symphonique de Montréal, ce qui est une première dans cette organisation, et j’y suis depuis plus de cinq ans maintenant.
Il faut retenir que peu importe le parcours de chacun, il faut oser saisir les occasions qui parfois nous amènent vers une finalité qui nous aurait paru improbable au départ.
Un de mes rôles à titre d’analyste d’affaires est d’accompagner les équipes à mieux lire la donnée et à la comprendre. Il faut accompagner les gens pour leur montrer réellement ce que la donnée peut indiquer sans se laisser mener à trouver des preuves afin de lui faire dire ce qu’on aimerait qu’elle signifie.
Beaucoup de conversations avec les équipes diverses, par exemple au service des ventes et des agents de billetterie, pour savoir ce qu’on veut aller chercher. Il y a beaucoup de « Pourquoi les clients viennent et achètent ici ? ». On me demande donc de trouver comment on pourrait tester les intuitions qui sont soulevées afin de les confirmer ou les infirmer. On a aussi beaucoup de travail avec les équipes du marketing relationnel afin de faire un ciblage efficace dans les communications. Des efforts similaires sont aussi appliqués au service de la philanthropie afin de maintenir de bonnes relations et d’en développer de nouvelles.
Une fois que l’information est recueillie, je dois aussi analyser ce qui a été efficace, ce qui n’a pas fonctionné comme attendu et trouver des pistes de solutions et d’explications. On doit utiliser des outils informatiques avec nos bases de données pour pouvoir exploiter les données cumulées souvent par l’utilisation de tableaux de bord. Parfois, l’utilisation de tableur pour créer des tableaux croisés dynamiques est un moyen très efficace pour creuser là où on en a besoin. Nous pouvons aussi avoir recours aux services d’une firme externe pour traiter les données lorsque c’est nécessaire.
Mon rôle d’analyste sert aussi à rallier tous les intervenants pour leur démontrer que le même client a un parcours chez nous à travers tous les aspects d’achats, de philanthropie, de marketing, etc.
J’aime le côté relationnel avec les collègues, où je suis appelée à collaborer à la recherche d’informations qui ont un potentiel. J’aime être dans des équipes de travail et que la collaboration et le partage nous amènent vers des réussites. J’aime aussi mon rôle qui est de convaincre les autres du potentiel du changement d’outil technologique ou de méthode de travail, et surtout d’être témoin de la période où les gens qui ont dû se conformer aux changements réalisent enfin pourquoi tous les efforts ont été mis en ce sens et comprennent le potentiel nouveau. Mon rôle « d’espion » aussi est stimulant. Je dois avoir le nez partout, poser des questions, investiguer constamment pour alimenter mes recherches.
Je suis moins stimulée lorsque vient le temps de remplir des documents très formels ou des rapports qui ont un cadre rigide. Cette documentation est nécessaire à plusieurs niveaux comme pour l’obtention de subventions, mais ça demeure un aspect moins enrichissant.
Il faut absolument avoir une grande curiosité autant envers la donnée, les processus et les gens. Comme c’est en commençant par interagir avec les autres que l’on trouve des pistes à exploiter, il faut donc être prêt à travailler avec toutes sortes de personnalités et prendre le temps de bien les comprendre. Il faut être ouvert d’esprit et faire preuve de persévérance. Parfois, on fait beaucoup d’efforts sur des pistes qui finalement ne seront pas efficaces. Il faut savoir accepter ces moments et se motiver à aller vers de nouvelles avenues.
Dans l’analyse d’affaires pour le milieu culturel, il y a de l’évolution, car nous étions encore dans le tout début récemment. La vitesse d’évolution n’est pas nécessairement rapide, car les moyens financiers nécessaires pour l’intégration d’analyse d’affaires ne sont pas toujours disponibles dans le milieu culturel, bien souvent composé de petites entreprises. C’est par les réflexions, par les agents externes comme des demandes gouvernementales, par l’arrivée de l’intelligence artificielle et par l’ajout de nouvelles lois que toutes les questions liées aux données sont de plus en plus importantes et inévitables pour les entreprises. Malgré l’aspect plus concurrentiel des entreprises du milieu culturel, en ce qui concerne l’analyse des données, le partage entre nous est pertinent et apprécié dans le milieu. En collaborant, nous pouvons envisager de nouvelles possibilités pour l’évolution de l’analyse de données dans le milieu culturel, et c’est d’autant plus motivant.
Cette entrevue a été possible grâce à la collaboration avec Culture et moi. Vous y trouverez aussi une capsule vidéo avec Daphné Bisson qui y présente son rôle avec l'Orchestre symphonique de Montréal.