Lorsque vient le temps de prendre une décision éclairée, les dirigeants d'entreprise font appel, entre autres, à un actuaire. Ce dernier s'efforce de prédire l'avenir, non pas à l'aide d'une boule de cristal, mais en procédant à des calculs rigoureux permettant d'évaluer les conséquences financières de divers scénarios. Hugo Lévesque, que vous découvrirez à la lecture de cet article, est un de ces professionnels du monde des affaires spécialisé dans les opérations financières.
J’ai toujours aimé les chiffres. Lorsque j’étais plus jeune, j’adorais faire des statistiques sur à peu près tous les sports que je pratiquais. Lorsque je jouais, par exemple, au miniputt avec mes parents, personne n’était étonné de me voir comptabiliser les résultats de nos parties. Mon rêve était de devenir la personne qui transmettait les statistiques à l’écran lors des matchs de hockey télévisés, mais, lorsque je suis allé consulter un conseiller d’orientation, il m’a dit qu’il n’y avait pas beaucoup de possibilités de carrière dans le domaine des statistiques sportives. Cependant, il m’a parlé de l’actuariat, car ça rejoignait drôlement mes champs d’intérêt. Je ne connaissais pas du tout ce domaine. Étant originaire de Rivière-du-Loup, il n’y en avait pas beaucoup dans mon entourage. J’ai commencé à me renseigner sur le sujet et ça a vraiment « cliqué », car cela consiste à exprimer en chiffres ce qui s’est produit dans les dernières années pour faire un bilan de la réalité et projeter le tout dans l’avenir. J’ai donc choisi de m’inscrire au baccalauréat en actuariat à l’université et, par la suite, j’ai réussi tous les examens professionnels menant au titre de Fellow. Je travaille depuis quelques années en tant qu’actuaire à Trinome Conseils.
Mon titre de Fellow me permet d’exercer certaines fonctions au sein de l’entreprise qui sont réservées aux personnes reconnues par l’Institut canadien des actuaires (ICA). Je peux, par exemple, signer une évaluation actuarielle et être l’actuaire désigné comme étant responsable d’un régime de retraite enregistré auprès des autorités. Mon travail consiste, entre autres choses, à calculer le montant d’argent auquel a droit une personne qui a contribué à un régime de retraite avant qu’elle quitte son emploi, et ce qu’elle pourra faire avec cet argent par la suite. Pour ce faire, je dois vérifier plusieurs éléments comme le type de régime, l’âge du participant, son salaire, etc. Je peux également calculer la rente que recevront les travailleurs lors de leur départ à la retraite tout en m’assurant de faire un suivi avec les institutions financières pour que les paiements soient transmis aux personnes concernées. Sur une base annuelle, je fais l’évaluation de divers régimes pour m’assurer qu’ils contiennent assez d’argent pour pouvoir payer les participants tel que l’entreprise promet de le faire. S’il n’y a pas assez de fonds pour arriver au standard établi, je dois calculer combien d’argent l’employeur devra investir dans le régime de retraite pour rétablir la situation. Il y a beaucoup de calculs à faire et toutes ces équations se basent sur diverses hypothèses. Par exemple, j’évalue quel sera le rendement du régime dans les prochaines années, les probabilités de décès des employés selon tel groupe d’âge, les hausses de salaire prévues, etc. J’analyse en tenant compte de la taille du régime et de ce qui s’est passé dans les dernières années et j’essaie d’illustrer cela en chiffres pour pouvoir utiliser ces données dans mes projections.
Bien que ce ne soit pas ma spécialité, l’actuariat est également très présent dans le monde des assurances, où les actuaires établissent quelles sont les primes pour les diverses compagnies. Lorsque quelqu’un, par exemple, fait appel à une compagnie pour avoir une prime d’assurance automobile ou habitation, cette prime a été calculée par un groupe d’actuaires qui a établi au préalable le niveau qui doit être demandé à la clientèle de la compagnie d’assurances pour atteindre les objectifs. Ils veillent également à ce que les primes ne soient pas trop élevées pour la clientèle, afin que tout soit conforme aux procédures en vigueur. L’actuaire va donc s’assurer que la prime qui est exigée à chaque personne est adéquate et que toutes les primes d’assurances qui ont été émises aux particuliers n’amèneront pas des risques trop élevés à l’assureur. Ils font des projections sur les risques possibles, les probabilités de décès ou de survenue d’un accident afin de connaître les coûts qui seront engendrés à l’entreprise si les hypothèses s’avèrent véridiques et pour savoir si elle aura assez d’argent pour indemniser les assurés.
Mon travail implique de faire de la consultation avec la clientèle et j’aime beaucoup cet aspect. Un employeur qui met en place un régime de retraite pour l’offrir à ses employés ne le comprend pas nécessairement en détail et il n’est pas toujours à l’aise de répondre lui-même à des questions de ses employés sur le sujet. Mon rôle est de l’assister dans ce genre de situation. J’ai donc des liens avec mes clients qui sont dans diverses entreprises, mais également avec leurs employés, car je suis parfois sollicité pour répondre directement aux questions des participants au régime. Les gens peuvent prendre contact avec moi pour une multitude de raisons, telles qu’avoir des précisions sur le régime lorsqu’ils sont en négociation de convention collective, faire certaines modifications à l’entente, effectuer divers calculs, etc.
Lorsque je reçois plusieurs demandes en même temps, ça entraîne une pression un peu plus élevée de mon côté pour être en mesure de fournir le service demandé et répondre au besoin. Par exemple, un premier client peut m’appeler parce qu’il a une rencontre prévue avec le comité de retraite qui gère le régime dans son entreprise et il a besoin d’avoir les chiffres préliminaires de mon évaluation dans un délai précis. Lorsque deux ou trois autres clients ajoutent des requêtes dans la même journée, ça se transforme quelquefois en défis, car je peux recevoir des demandes inattendues auxquelles je n’ai pas le choix de répondre dans l’immédiat. Je dois alors m’adapter en conséquence. C’est assez varié comme travail et il est rare que j’aie des journées qui se ressemblent. Il y a parfois des périodes d’intensité plus élevée, mais ça fait partie du plaisir de travailler avec la clientèle.
Même si l’on travaille avec des chiffres et des formules mathématiques très cartésiennes, il faut quand même être créatif pour en arriver à ce qui conviendra le mieux au client. Il faut parfois sortir des sentiers battus pour répondre adéquatement à son besoin et à son budget. Au fur et à mesure que j’ai acquis mon expérience en actuariat, j’ai découvert qu’il y a plus d’une façon possible pour arriver au résultat souhaité tout en étant conforme aux lois en vigueur. Parfois, nous avons des régimes qui sont dans différentes provinces, donc il faut connaître les lois qui sont spécifiques à chacune. En plus de nos clients au Québec, nous en avons également en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. De plus, certaines entreprises peuvent être basées dans une province en particulier, mais avoir aussi des employés dans une autre. Il faut s’adapter constamment. Les lois provinciales établissent, entre autres choses, les règles minimales à respecter pour protéger les participants. En plus de cela nous devons également tenir compte des lois fédérales qui réglementent, notamment, l’impôt sur le revenu, où il y a un seuil maximal à respecter quant aux cotisations faites à un régime de retraite pour qu’elles soient à l’abri de l’impôt. Lorsque l’on crée un nouveau régime, il y a beaucoup de choses à regarder et à analyser, et nous devons donc nous assurer que celui-ci respecte tout ce qui est établi par les différentes autorités gouvernementales. Nous ne pouvons pas prendre une solution produite pour une entreprise en particulier et l’appliquer à une autre.
L’actuariat, c’est une grande famille où l’atmosphère de travail est très collaborative. C’est un domaine qui est exigeant, mais vraiment intéressant et très stimulant. Cependant, il faut être prêt à mettre les efforts nécessaires, car, en plus du baccalauréat, il faut réussir une série d’examens professionnels si une personne veut être reconnue comme Fellow. À titre d’exemple, j’ai terminé mon baccalauréat en 2009 et j’ai passé tous mes examens professionnels en 2015. C’est un long processus mais il est possible de faire certains examens professionnels en même temps que les études universitaires. Cependant, il est important de savoir qu’il est possible de travailler en actuariat sans avoir terminé ses examens professionnels et que le baccalauréat suffit pour pratiquer l’actuariat. L’obtention du titre de Fellow permet d’avoir des tâches supplémentaires mais il n’est pas essentiel pour la pratique. Au départ, je faisais plutôt des calculs de base, alors que maintenant je peux aller plus loin et faire des calculs plus avancés, effectuer des évaluations plus poussées et analyser les dossiers plus en détail. De plus, il est vraiment important de choisir l’actuariat pour l’amour des chiffres et le désir d’analyser des probabilités et des statistiques. Je connais des gens qui étaient attirés par les conditions de travail avantageuses de cette profession et qui ne sont plus dans le domaine actuellement. Finalement, être en mesure de bien gérer les risques et la pression est essentiel, car, parfois, un régime de retraite dont nous avons la responsabilité peut comprendre des milliards de dollars.