Le producteur de télévision a un rôle central dans la coordination de tous les intervenants qui travaillent à la mise en forme d'une émission de télévision ainsi qu'une responsabilité importante sur le travail d'idéation menant au résultat final. Sabine Daniel s'est longtemps vue ayant un rôle devant la caméra et y a plusieurs expériences, mais c'est dans cet aspect de coordination qu'offre la position de productrice qu'elle se réalise pleinement.
Tout a commencé surtout parce que mon père aimait le milieu des communications et qu’il m’amenait à la radio communautaire et à des événements des médias. Il avait fait de la radio en Haïti, mais il n’a jamais choisi d’y travailler professionnellement. Son travail d’architecte lui amenait une plus grande sécurité, surtout qu’il appartenait à une première génération d’immigrants. Vers 5 ans, j’ai découvert l'émission Passe-Partout, où j’ai vu la marionnette d’une petite enfant noire haïtienne dans une réalité québécoise, et j’ai dit à mes parents : « C’est ce que je veux faire dans la vie, de la télévision! » La même année, mon père m’a amenée à un événement où Lucien « Frenchie » Jarraud animait une émission en direct du boulevard St-Laurent. Je voyais mon père le regarder avec tellement d’admiration et d’envie que je lui ai dit : « C’est tellement facile, pourquoi ne le fais-tu pas? ». L’animateur, m’ayant entendue, m’a proposé d’aller en ondes avec lui. J’ai donc été sur l’émission toutes les semaines et j’ai eu la piqure du monde des communications sans savoir dans quoi je devrais étudier par la suite.
J’ai étudié au collège et à l’université principalement en relations publiques en conservant des liens avec le milieu des médias par des cours à option en journalisme. Par la suite, j’ai été accepté au programme Jeunesse Canada Monde, ce qui m’a permis de passer six mois en Russie pour y faire du journalisme en étant chapeauté par l’ONF. C’est une expérience exceptionnelle où l’on devait mettre de l’avant la force de la différence et à la suite de laquelle j’ai eu besoin de retourner dans le milieu créatif des médias. J’ai donc fait un baccalauréat en communications à l’UQAM, mais une fois ce programme terminé, je me suis arrêtée aux barrières de la couleur de la peau et de la langue, donc par sécurité je suis retournée en Ontario travailler comme relationniste dans le milieu municipal tout en prenant des contrats de recherchiste pour la télévision québécoise en été. Mon travail de relationniste ne me convenait pas. Ma famille me rappelait que mon univers était la télévision, mais je suis restée par peur. Ce travail m’a rendue malade, car je ne m’écoutais pas et pendant plusieurs années j’ai conjugué le mal-être et le besoin de sécurité d’emploi.
À 40 ans, j’ai fait une remise en question et j’ai enfin décidé de faire ce qu’il fallait pour être heureuse. J’ai laissé mon emploi de fonctionnaire avec d’excellentes conditions et je suis revenue à Montréal en décidant de retourner dans les médias. Une fois la décision prise, les premiers appels pour des emplois sont arrivés. Une amie du même domaine que moi, Chan Tep, m’a envoyé un lien vers un programme de bourse de Netflix pour ajouter des étudiants issus de la diversité à l’Institut national de l'image et du son à Montréal (INIS). C’est une formation dont je rêvais depuis très longtemps, mais qui m’était inaccessible. J’ai été sélectionnée et malgré le parcours difficile, il a été tellement révélateur et m’a permis de faire ma place dans le milieu à titre de productrice en télévision. Pendant la pandémie, j’ai usé de toute ma créativité pour établir des contacts et offrir mes services, ainsi je n’ai jamais manqué de travail depuis.
Personnellement, ma journée commence par un entraînement physique pour être en forme, parce qu’un des rôles du producteur est de motiver l’équipe. Tous les matins, nous avons une rencontre avec l'équipe de production, par exemple le gestionnaire de projet, le coordonnateur, le scénariste, les chefs de département. Cette rencontre sert à définir les priorités de la journée, trouver des solutions aux embuches et statuer sur ce qui doit être livré à la fin de la journée.
Ensuite, je dois revoir les scripts des scénarios ou rédiger des présentations, à la lumière des dossiers de recherche reçus de la part des recherchistes, que je dois envoyer à mes diffuseurs. C'est à ce moment que commence la réflexion sur l’émission à produire. Selon l’ampleur de l’équipe de production, je peux aussi avoir à faire du montage et à sélectionner les éléments tournés qui feront partie des épisodes de l’émission. Il faut aussi garder du temps pour explorer les prochains sujets et gérer tous les imprévus qui se glissent dans les journées.
J’adore réunir des personnes ayant différentes expériences et travailler à construire une vision commune et parfois nous confronter sur les idées et les points de vue. J'ai appris à bien repérer le talent des gens et la passion de chacun pour réaliser des projets. J'apprécie beaucoup mon travail, car j’ai un rôle de chef d’orchestre pour une grande équipe où je dois reconnaitre les forces de chacun pour arriver au résultat optimal. Un autre aspect intéressant est que j’ai la chance de travailler à la production d’émissions tant en français qu’en anglais et c’est très enrichissant.
C’est un travail qui peut être intense! Souvent, on doit effectuer une production avec un budget restreint qui nous oblige à se limiter, mais en même temps ça oblige à être extrêmement créatif. Il faut parfois faire les montages, donc choisir les meilleurs moments tournés pour composer l’émission. C’est une tâche qui demande beaucoup de temps afin de visionner tout le piétage. Ce travail est plutôt celui du réalisateur, mais en budget restreint, on doit être en mesure de toucher à plusieurs métiers.
Il y a aussi l’aspect de la gestion qui demande beaucoup d’énergie pour gérer des équipes composées de professionnels ayant des personnalités différentes. Diriger les gens pour arriver à une vision commune, ça demande de se mettre de côté un peu pour s'adapter à une équipe.
Mon parcours d’expériences depuis très jeune m’a servi et me sert toujours. Donc je conseille aux gens d’écouter ce qui les allume et d’accumuler des expériences, par exemple en faisant du bénévolat et en tentant leur chance par l’envoi de curriculum vitae. Il faut être passionné et avoir soif d’apprendre et de se développer. Ce sont deux grandes forces qui permettent d’aller loin dans le milieu et d’y trouver une place à son image.
Peu importe le choix de carrière, je conseille à toute personne qui réfléchit à son choix de s’écouter, de progresser dans ses passions et à un moment quelqu’un va l’apercevoir! On sera toujours critiqué, mais il ne faut pas s’imposer de barrière par nous-mêmes. Il faut avoir le courage d’être soi-même et miser sur ce qu’on aime et explorer nos expertises. Ces décisions sont parfois risquées, mais si elles sont faites en misant sur soi, le potentiel est grand et cela évite plusieurs années de questionnement.
Cette entrevue a été possible grâce à la collaboration avec Culture et moi. Vous y trouverez aussi une capsule vidéo avec Sabine Daniel qui y présente son passage à l'INIS.